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9 août 2010

Correspondance à trois

correspondance___3jpgC’est une rencontre épistolaire foudroyante, de quelques mois seulement, entre trois grands poètes, reconnus par leurs contemporains : épistolaire seulement puisque jamais cette rencontre à trois, tant désirée, n’aura lieu.
Cela s’est passé en 1926, entre Rainer Maria Rilke soigné en Suisse, Marina Tsvétaïeva exilée en France et Boris Pasternak resté en Russie. Ils ont cherché la langue qui correspondait le mieux à leurs émotions : ils écrivirent en russe et en allemand, tentèrent le français. Entrave supplémentaire à leur situation géographique, la censure du courrier russe au lendemain de la révolution ne favorisait pas un échange facile de leurs lettres.
Au début de cette correspondance, Boris Pasternak et Marina Tsvétaïeva se connaissent depuis deux ans par courrier (ils se sont aperçus une seule fois !). Plus jeunes et un peu moins célèbres que Rilke, ils lui vouent une admiration sans faille, et vivent déjà tous deux une passion forte, amoureuse et spirituelle, dans un échange de courrier très abondant. L’adoration réciproque qui naîtra entre Tsvétaïeva et Rilke n’aboutira jamais non plus à une rencontre : lors de cette correspondance, Rainer Maria Rilke a 51 ans, il vit son dernier amour avec Marina qui se termine par la mort du poète autrichien en décembre 1926. Le fait de ne pas se voir, d’attendre et d’espérer, aiguise les passions. Tous les trois se retrouvent dans leurs poèmes, joignent leurs esprits dans un ciel commun. Ils subliment la réalité, se cherchent, se provoquent et nous livrent des lettres d’amour d’une rare intensité. Cela se traduit aussi par de nombreux poèmes qui enrichissent leurs œuvres, et des dédicaces dont celle-ci, de Rilke à Tsvétaïeva qui ouvre ce livre :

« A Marina Ivanovna Tsvétaïeva :
Nous nous touchons, comment ? Par des coups d’aile,
Par les distances même nous nous effleurons.
Un poète seul vit, et quelques fois
Vient qui le porte au-devant de qui le porta.» (mai 1926)

Des trois, c’est Marina Tsvétaïeva qui me touche le plus, au-delà de son écriture au rythme haché, jugée parfois trop moderne pour son époque : j’aime son feu, son tempérament passionné, et surtout sa façon de vivre violemment au-dessus de sa misère. De son exil jusqu’à sa mort, Marina a écrit dans un dénuement impensable, noyée dans un quotidien de survie qui étouffe et dévore son art. De ses difficultés à trouver du temps pour poser sa poésie (entre lessives, corvées de charbon lorsqu’elle en trouve, recherche d’un repas pour ses enfants ou d’une robe d’occasion pour elle), elle écrit à son amie tchèque Anna T. dans une autre correspondance*, très explicite, qui s’étend sur 17 ans de sa vie. A Rilke, elle dit son désir de le voir : « Aujourd’hui une lettre, demain une lettre. Tu vis, je veux te voir. Le toujours transplanté dans le maintenant. D’où le tourment, les jours que l’on compte, chaque heure nulle, simple degré – pour aboutir à la lettre. ».
Je connais peu Pasternak, si ce n’est par son célèbre « Docteur Jivago », je veux dire que je n’ai lu que peu de ses poèmes. Ses lettres m’en donnent la curiosité. Elles sont empreintes d’une sensibilité exacerbée qui l’entraîne dans des impressions fortes et parfois contradictoires, des remises en question : son admiration pour Rilke qui est la base même de sa poésie ; son admiration doublée d’amour pour Tsvétaïeva qui le portera littéralement puis sera progressivement bousculé par la jalousie, les malentendus ou la susceptibilité pour un poème mal compris. De Tsvétaïeva, il dit : « …une personne, que j’aime à en perdre l’esprit, m’écrit. Mais c’est quelqu’un de si grand et ses lettres l’attestent si bien, qu’on souffre quelque fois de ne pas les montrer aux autres. Et cette douleur s’appelle le bonheur ».
Et Rilke, bien sûr, que ce soit ses poèmes, sa vie solitaire, ses correspondances («Lettres à un jeune poète » est toujours à lire, très peu de rides, vraiment), tout me touche. De ses nombreux séjours à l’étranger, Rilke garde un souvenir puissant de la Russie qu’il aime plus que tout autre pays au monde, et l’élan de Boris Pasternak et Marina Tsvétaïeva vers lui l’atteint immédiatement. Six lettres à Tsvétaïeva, six lettres inoubliables. Dans la seconde déjà : « … tous mes mots veulent courir vers toi en même temps, pas un qui accepte de laisser passer un autre devant lui… ».
Que l’on connaisse beaucoup, un peu ou pas du tout ces poètes, n’empêche en rien d’être emporté par cette furieuse correspondance. Les riches annotations de l’éditeur permettent de resituer dans le temps leurs vies, et de mieux comprendre leurs œuvres. Hors cela, ces lettres sont accessibles à tous et peuvent se lire aussi comme un roman, mais dans une langue d’une beauté rare.

* « Lettres à Anna Teskova » - Edition Clémence Hiver - 2002

« Correspondances à trois » - Rainer Maria Rilke / Boris Pasternak / Marina Tsvétaïeva - Edition L’imaginaire/Gallimard

22/01/04 (paru dans zazieweb et l'e-novateur.org)

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Commentaires
L
Les mots de Marina Tsvétaïeva sont de feu, c'est vrai, et lorsque l'on goûte à sa correspondance on est brûlé, mordu par ces flammes, par sa soif de vivre, d'aimer, d'écrire. <br /> Pour notre plus grand bonheur, elle entretenait de nombreuses correspondances, toutes aussi passionnées les unes que les autres, avec des personnes très différentes, et c'est donc pour nous lecteurs, un bonheur (presque) sans fin.<br /> <br /> Merci à vous en retour pour cette belle révérence à la poésie !
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M
... pour tous ces extraits de l'oeuvre de Marina Tsvetaïeva... je lis actuellement la correspondance entre elle et Rilke et cela me donne envie de lire davantage de son oeuvre. <br /> c'est l'heure de réhabiliter ce "feu" tant à l'honneur avec cette poétesse, dans ce monde où l'oubli de la poésie ferme nos yeux et voile nos âmes...<br /> bonne journée!
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