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9 août 2010

Sentiers sous la neige

SternPacifiste, humaniste, Mario Rigoni Stern ne raconte jamais la terrible guerre qu’il a vécu, mais, dans tous ses livres, il témoigne de ce que les hommes, lui et ceux qu’il a croisés pendant ces années terribles sur les fronts ou dans les lagers, ont souffert dans leurs corps et leurs âmes.
Parallèlement, il décrit ce qui a le plus d’importance à ses yeux : les liens qui attachent les hommes à leur terre. En retrait des milieux littéraires, à plus de 80 ans, Rigoni Stern vit toujours dans le pays de son enfance et de ses ancêtres, les hauts plateaux d’Asiago, entre Venesie et Trentin, qu’il n’a jamais quitté que pour partir à la guerre.

Célèbre dès la parution de son premier ouvrage « Le sergent dans la neige » en 1953, Stern proclame dans tous ses livres son antimilitarisme, condamne les guerres et relate les moments qui l’ont rapprochés d’autres hommes amis ou « ennemis ». La différence, il ne la fait pas, l’humanité seule l’intéresse. Dans ses écrits, il y a toujours une scène comme il en a vécu, où les hommes pacifient devant la détresse d’autres hommes, le temps d’un repas, d’un échange. De l’horreur de la guerre, c’est l’incompréhension, parfois la colère, rarement la haine.

« Comme tu es maigre, frère ! » ouvre ce recueil de textes rassemblés sous le titre « Sentiers sous la neige ». Ce texte fort, écrit à la troisième personne du singulier, résonne pourtant comme un écho de la vie de Rigoni Stern : comme son personnage, il s’est évadé d’un lager en Autriche à la fin de la seconde guerre mondiale, a dépassé dans sa fuite des villages brûlés, a traversé les Alpes en se cachant, affamé, malade et épuisé, n’ayant pour but que sa maison natale. Toute l’absurdité de la guerre dans ces pages : un homme maigre marche, se souvient, n’a plus la force de s’arrêter sur la misère des autres ni sur la sienne, accepte la polenta ou la tranche de pain noir que parfois on lui tend, s’épuise à raconter son histoire une énième fois… il marche, marche, efface les images terribles des camps et des combats par celles de son enfance, par celle qu’il cherche à atteindre : cette « rue en pente où il avait si souvent joué et dont il connaissait chaque pierre… ». L’écriture humble et poétique est en harmonie parfaite avec les paysages où les personnages de Stern évoluent, comme elle est en accord avec ses sentiments.

Lorsque Stern décrit la neige, qui est si présente dans son œuvre, c’est une porte qui s’ouvre sur un monde dont il veut garder la mémoire. On est loin des remonte-pentes et de la météo-marketing, loin de l’industrie des pistes poudreuses. Ici on entre dans un monde de poésie où chaque neige à un nom, suivant le moment de sa venue, suivant sa tenue et l’endroit de la montagne où elle tombe. Lire « Neige », tiré de ce même recueil, amène à voir différemment chaque flocon qui se pose désormais sous nos yeux, avec un regard d’enfant qu’un vieux montagnard aurait initié.
Puis il y a cette rencontre imaginaire « Hier matin à skis avec Primo Levi » : Levi et Stern sont amis, le citadin et le montagnard. Mais lorsque Stern écrit cette scène, Levi s’est tué depuis bien longtemps. On ne trouve pourtant rien de morbide ni de fantomatique dans cette rencontre : Stern, lorsqu’il part à skis, sent souvent auprès de lui la présence d’amis qu’il a perdu. Ce jour-là ce sera Primo Levi. Après que l’écrivain chimiste Levi explique à l’écrivain montagnard Stern, la réaction du fart sous leurs skis, ils discutent de leurs mêmes idées pacifistes et analysent leur façon divergente de réagir face au danger, à la guerre.

Dans tous les textes de ce recueil, Stern nous ouvre les portes de ses hauts plateaux, et se souvient des chemins qu’il a parcouru enfant ou adulte, le plus souvent seul. Il parle de ce qu’il connaît, de ce qu’il aime : d’une part la fraternité, d’autre part la communion des hommes et de la nature. Ce mêle à la nostalgie de ces images, le souvenir douloureux de la guerre où ses amis sont morts. Par petites touches sensibles, sans fioritures, Stern met en avant des hommes, décrit leur âme, leur souffrance et leur solitude. Sorti en France en 2000, « Sentiers sous la neige » prolonge l’œuvre de Mario Rigoni Stern dans un même élan.

Ne vous y fiez pas. Lire Mario Rigoni Stern n’est pas anodin : se renforcent le sentiment de fraternité et d’antimilitarisme, le besoin impérieux de nature et de calme. A lire sans modération.

«Là-haut, la montagne est silencieuse et déserte.(…) La neige qui est tombée en abondance ces jours-ci a effacé les sentiers des bergers, les aires des charbonniers, les tranchées de la Grande Guerre et les aventures des chasseurs. Et c’est sous cette neige que vivent mes souvenirs.»


Auteur :  « Sentiers sous la neige » – – Edition La Fosse aux Ours – 2000

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