Remise de peine
Confiés à des amis par leurs parents partis chacun de leur côté dans différents pays, Modiano et son frère découvrent un monde d'adultes peu commun. Mais qu'y a-t-il de commun dans la vie et la recherche permanente de la mémoire chez cet écrivain ?
Beaucoup de tendresse dans cette "Remise de peine" où Modiano tente à nouveau de retrouver son enfance et y mèle à nouveau la fiction.
Si dans d'autres livres, Patrick Modiano dépeint parfois des truands pourris jusqu'à la moelle que fréquentaient son père dans des magouilles toujours mystérieuses, ici les "malfrats" qui entourent et élèvent Modiano et son frère pendant une année, apparaissent tous attachants.
Pourtant l'ambiguité toujours est présente. Ces truands appartiennent à la bande de Lauriston : sous l'occupation cette bande était constituée de gestapistes français (et là, revient toujours l'épisode de la vie de son père : juif, refusant de porter l'étoile jaune, fréquentant des malfrats, vivant de marché noir sous une fausse identité, arrêté et prêt à être déporté dans un convoi, Albert Modiano est mystérieusement libéré par un personnage haut placé). Mais nous sommes ici à la fin des années 50, Modiano a 10 ans, il n'a pas connu la guerre, il est né tout juste en 1945. Mais dans les livres de Modiano, le temps tisse des liens d'une époque à une autre.
Des va-et-vient entre le passé et le présent comme seul cet écrivain sait le faire, l'ambiance spécifiquement modianesque dont on ne se passe pas, cette recherche du passé que l'on tente de découvrir avec lui... et à nouveau, un excellent livre.
Extraits :
"Chaque fois que Mathilde s'adressait à moi, elle m'appelait : "l'imbécile heureux". Un matin que je descendais de ma chambre pour prendre le petit déjeuner, elle m'avait dit comme d'habitude :
- Bonjour, imbécile heureux.
Je lui avais dit :
- Bonjour Madame.
Et, après toutes ces années, je l'entends encore me répondre de sa voix sèche, à l'accent de Nîmes :
- Madame ?... Tu peux m'appeler Mathilde, imbécile heureux..."
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- Ah... c'est vous... les enfants ?...
Il a répété :
- Vous êtes les enfants ?
Il nous a entraînés dans le salon. L'homme qui parlait au téléphone a raccroché. Il était petit, les épaules très larges, et il portait une veste de cuir noir. Il a dit, comme l'autre :
- Ah... Ce sont les enfants...
Il a dit à l'homme en gabardine :
- Il faut que tu les emmènes au commissariat de Versailles... Ca ne répond pas à Paris...
Quelque chose de très grave, m'avais dit le gendarme aux gros yeux. Je me souvenais du papier que la petite Hélène gardait dans son portefeuille : LA TRAPEZISTE HELENE TOCH VICTIME D'UN GRAVE ACCIDENT. Je restais derrière elle pour la regarder marcher. Elle n'avait pas toujours boité comme ça.
- Où sont vos parents ? m'a demandé le brun en gabardine.
Je cherchais une réponse. C'était trop compliqué de lui donner des explications. Annie me l'avait bien dit, le jour où nous étions allés ensemble dans le bureau de la directrice de l'institution Jeanne d'Arc et où elle avait fait semblant d'être ma mère.
- Tu ne sais pas où sont tes parents ?
Ma mère jouait sa pièce de théâtre quelque part en Afrique du Nord. Mon père était à Brazzaville ou à Bangui, ou plus loin. C'était trop compliqué.
- Ils sont morts, lui ai-je dit."
Auteur : Patrick Modiano - Titre : Remise de peine - Editions du Seuil