Moi, je suis quand même passé
Est-ce que la retranscription du mode de lecture d'un texte issu d'un site tel Twitter est adaptable à l'objet-livre ?
La réponse est oui, et pourtant il fallait oser !
Comme sur l'écran d'un ordinateur, si l'on veut suivre la chronologie, "Moi, je suis quand même passé" commence... par la fin, et on remonte la lecture en dépliant le livre en accordéon jusqu'à la dernière phrase qui se trouve donc être la phrase... du début (ça va ? tout le monde suit ?). Pour en rendre la lecture plus facile et ne pas être trop dérouté, les phrases sont assemblées par groupe de trois, et assez courtes (contrainte de Twitter : maximum 140 caractères).
Cela posé, la technique quelle qu'elle soit ne suffit pas à faire un bon livre. Alors, après la curiosité assouvie et l'application du mode d'emploi, le texte donc. Et là, quel plaisir ! :
Belle écriture, poétique, teintée d'humour léger. Il s'agit d'une attente, de vivre avec l'auteur ces quelques semaines à dériver dans l'incertitude. On ne connait pas le sujet de cette attente, mais on découvre les différents états, de crainte ou d'espoir, dans lesquels elle plonge l'auteur.
Au cours de cette navigation solitaire sur un livre-radeau, on croise furtivement Beckett et Michaux, on perçoit l'imaginaire d'Adolfo Bioy Casares ou d'Hiroshi Sugimoto.
Le résultat est réussi, harmonie totale entre le contenu et le contenant (ne pas oublier la couverture de Geneviève Gleize en parfaite adéquation avec le sujet : ses photos de friches industrielles sont toujours poignantes) : bref, un très bon choix de l'éditrice de Cousu main (quand le travail est de qualité, ne pas hésiter à en parler).
Eric Pessan, en parallèle, sort un autre livre chez Albin Michel, "Incident de personne", que je n'ai pas encore lu, mais ce livre-ci m'en a donné l'envie. En attendant, je pense aller à "La mémoire du monde" vendredi pour cette rencontre avec l'auteur.
Extrait :
parfois se révolte, s'emporte, explose. Puis constate que son emportement n'a pas même ridé la surface de l'eau.
se laisse bercer par l'étale horizontalité du monde. C'est comme si la lumière elle-même ne tombait plus d'en haut.
se demande si le but est vraiment de conduire ce livre sur une rive. Qu'y aura-t-il là-bas qui manque ici ?
Auteur : Eric Pessan - Titre : Moi, je suis quand même passé - Edition Cousu main