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27 septembre 2011

Le lièvre de Patagonie

le lièvre de PatagonieLivre indispensable, même si tout n'est pas recevable, superbement bien écrit, d'un grand témoin de la deuxième moitié du siècle dernier : de la résistance pendant la deuxième guerre mondiale au long périple que fut la réalisation de "Shoah", Claude Lanzmann a participé à nombre de faits historiques et culturels importants de cette époque.

Un grand récit autobiographique qui déferle avec la puissance d'un fleuve, plus de 700 pages qui croisent les relations privées, familiales avec celles de la grande Histoire. Souvent, le personnage de Claude Lanzmann apparait prétentieux, vaniteux, on l'oublie pourtant tant sa verve, son côté frondeur et son engagement sont présents et compensent. D'autrefois c'est plus lourd et gêne la lecture (cela se produit par exemple lorsqu'il parle de son rôle de grand journaliste interviewant des vedettes féminines de l'époque, qui lui doivent tout, leur carrière, leur renom...).

Mais lorsqu'on ouvre ce livre, on ne peut plus le quitter, on est submergé par la volonté, par l'intelligence, la vie rivée au corps, par le style de toute beauté, imagé, bondissant. Chaque digression est un moment fort, utile à la compréhension la plus juste. 

Les premières pages ouvrent sur la résistance (Lanzmann organise un réseau dans son lycée puis rejoint son père, résistant également), où il retrace la peur et le courage, les collabo, le parti communiste, superbe récit. Le portrait de sa mère, femme attirante, intelligente et impossible à vivre, est excellent aussi, tout comme celui de Molly, son beau-père dont la finesse d'esprit séduit à travers les mots de Lanzmann. Son amitié avec Sartre, sa vie avec Simone de Beauvoir, leurs complicités : une mine d'or.

La création d'Israël, dans l'espoir et la douleur, toutes les interrogations que cela suscite, la naissance de son premier film "Pourquoi Israël". Mais, pas un mot sur le peuple palestinien et sa souffrance en miroir, pas un mot sur le mur qui étouffe Gaza ; par contre, un chapitre entier consacré à l'armée israélienne, à sa puissance, force de descriptions et admiration devant les chars, les avions de chasse (le plaisir qu'il prend à monter dans l'un d'eux), et toute sorte d'armement, sans aucun recul, sans évoquer la destruction et la mort qu'entraine une armée. Claude Lanzmann écrit cette autobiographie en 2009, mais toujours pas un mot pour le peuple palestinien.

Enfin, et ces pages sont indispensables, l'idée de ce film impossible à imaginer, "Shoah" (9 heures montées), sa longue construction, trois ans d'enquête, cinq ans de tournage, se battre sans cesse, trouver l'argent, convaincre, prendre des risques (faux passeport, caméra camouflée pour interviewer des anciens nazis), sentir le découragement, puis à nouveau la volonté profonde, folle, de continuer. Lanzmann raconte comment lui est venue la prise de conscience lors de son premier repérage à Treblinka, que les paysans alentour ne pouvaient pas ne pas savoir, et comment il recueille, atterré, leurs premiers témoignages, antisémites, malgré ce qu'il s'était passé ; les mots poignants des "revenants", comment il les a contacté, convaincu de parler devant sa caméra ; son agression par des nazis ; l'émotion de la découverte des camps... on lit ces pages fébrilement, le souffle court.

Au final, "Le lièvre de Patagonie" reste un livre extrêmement passionnant, même s'il est à lire en restant lucide sur certains chapitres.

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Extrait :

shoah"De même Shoah est un film immaîtrisable et qu'il y a, pour y entrer, mille chemins, de même il y a peu de sens à tenter de raconter dans l'ordre comment, jour après jour, année après année, il s'est édifié. A partir du moment où je me convainquis qu'il n'y aurait ni archives ni histoires individuelles, que les vivants s'effaceraient devant les morts pour s'en faire les porte-parole, qu'il n'y aurait pas de "je", si fantastique, si attirant, si aberrant par rapport à la règle que pût être tel ou tel destin personnel, mais qu'au contraire le film serait une forme rigoureuse - en allemand une Gestalt - qui dirait le sort du peuple tout entier et que ses hérauts, oublieux d'eux-mêmes, suprêmement conscients de ce que le devoir de transmission requérait d'eux, s'exprimeraient naturellement au nom de tous, considérant comme dépourvu d'intérêt, pauvrement anecdotique, la question de leur survie, car ils auraient dû eux aussi mourir - et c'est pourquoi je les tiens pour des "revenants" plus que des survivants - , je me mis à me battre, non pas dans le désordre, mais comme il le fallait, sur tous les fronts."

Auteur : Claude Lanzmann - Titre :  Le lièvre de Patagonie - Editions Gallimard (sortie en 2009 ; poche en 2010)

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Commentaires
L
C'est l'aspect négatif du livre, et du personnage, dont je parlais dans mon billet et sa position sur la force d'Israël et la négation de la Palestine (ce que je qualifiais d'irrecevable). Je comprends aussi.
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C
Oh! On! je ne pourrai pas le lire! Déjà ce côté prétentieux et égocentrique me rebute mais son attitude vis à vis d'Israël et la Palestine me hérisse. Bien entendu je comprends que l'aspect brillant du récit puisse passionner.
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L
Pour cela, toute la partie du "Le lièvre de Patagonie" concernant le film "Shoah" est passionnante. Claude Lanzmann y dévoile des secrets de coulisses, des moments forts qu'il n'a pas pu mettre dans le film, des impressions personnelles...
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F
Indispensable oui. J'ai vu et revu Shoah, et c'est toujours aussi fort, avec sa lenteur, les silences lourds de sens, les images, l'émotion des témoins.
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