L'Homme qui tombe
Les livres de Don DeLillo vous attrapent au coeur et au ventre dès les premières lignes, et ne vous lâchent plus. Ils se lisent dans une tension active, l'esprit en suspens sur les phrases. "L'Homme qui tombe" est dans cette même veine, à une différence près, il est plus accessible que la plupart des autres livres de cet auteur.
Le livre débute ce jour-là, le 11 septembre 2001, exactement entre les deux attentats simultanés des deux tours, un homme, Keith, marche dans les décombres qui jonchent les rues, hagard, couvert de cendres et d'éclats de verre, une malette à la main. Il sort de la tour nord où il travaillait. Don DeLillo va simultanement raconter des épisodes de l'attentat vécus par ses personnages, et leur intimité, leur vie quotidienne "après". Il arrive également à entrer dans la peau d'un des terroristes. Et ainsi, par petites touches sensibles, tente d'approcher l'interprétation possible, la recherche d'explication ou le rejet délibéré de l'acte sans analyse, de chacun. On entre dans la vie du couple Keith et Lianne, on ressent les répercussions de l'attentat bien au-delà de la violence physique, indéniable, insupportable.
L'homme qui tombe c'est aussi la silhouette aperçue de cet homme en costume pendant la chute de la tour sud ; c'est un artiste de rue qui, après les attentats, et sans dévoiler ses véritables intentions, saute de différents points en hauteur dans la ville, tête en bas, une jambe attachée par un harnais ; c'est aussi une chemise vide, blanche qui descend lentement, comme une feuille morte.
Un livre puissant, tout en finesse, où la psychologie des personnages est extrêmement bien rendue. Il n'y a plus aucune certitude possible "après". Les personnages sont dérorientés, leur vie a pronfondement basculée, qu'ils en parlent ou cherchent à oublier, ils avancent désormais en hésitant. Un texte magistral.
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Extrait :
Ce n'était plus une rue mais un monde, un espace-temps de pluie de cendres et de presque nuit. Il marchait vers le nord dans les gravats et la boue et des gens le dépassaient en courant, avec des serviettes de toilette contre la figure ou des vestes par-dessus la tête. Ils pressaient des mouchoirs sur leur bouche. Ils avaient des chaussures à la main, une femme avec une chaussure dans chaque main, qui le dépassait en courant. Ils couraient et ils tombaient, pour certains, désorientés et maladroits, avec les débris qui tombaient autour d'eux, et il y avait des gens qui se réfugiaient sous des voitures.
Le grondement était encore dans l'air, le fracas de la chute. Voilà ce qu'était le monde à présent. La fumée et la cendre s'engouffraient dans les rues, explosaient au coin des rues, des ondes sismiques de fumée, avec des ramures de papier, des feuillets standard au bord coupant, qui planaient, qui voltigeaient, des choses d'un autre monde dans le linceuil du matin.
Auteur : Don DeLillo - Titre : L'Homme qui tombe - Editions Actes Sud