Oedipe sur la route
J'ai lu et aimé passionnément ce livre l'an dernier, et je l'ai mis de côté parce que je ne trouvais pas les mots pour en parler. N'ayant pas de formation classique littéraire, je pense que cela a engendré un petit complexe pour évoquer un sujet que je ne maitrise pas du tout. D'autres que moi en parleraient mieux, mais tant pis, ce livre m'a plu, beaucoup, même si je suis consciente que j'en perds une partie en ne pouvant pas faire référence à la mythologie, seulement au peu que j'en connais. Mais ce n'est pas grave en fait, tout ce qui émeut, tout ce qui enflamme, est bon à prendre.
"Oedipe sur la route" est une interprétation libre d'Henri Bauchau du mythe d'Oedipe. Il fait partie d'une trilogie de ce même auteur avec "Antigone" et "Diotime et les lions".
Dans le livre de Bauchau, Oedipe se crève les yeux, quitte Thèbes et part seul sur la route. Sa fille Antigone le suit et partage son périple. Se joint à eux Clios, un bandit rencontré en chemin.
Ce livre est avant tout une recherche de soi au travers de ce voyage de plusieurs années en Grèce, où ces trois personnages affrontent les épreuves les plus exténuantes, trouvent le réconfort dans la danse, le chant et la poésie, et terminent leur errance devant une falaise sur le flanc de laquelle ils vont sculpter une vague gigantesque.
C'est grandiose, poétique, puissant. J'avais découvert Bauchau avec "Le boulevard de ceinture". Ce livre-ci, dans un univers tout à fait différent, n'a fait que confirmer pour moi la beauté de son écriture et placer Bauchau comme un écrivain essentiel. "Oedipe sur la route" fait partie de ces livres qui marquent profondément, dont on a du mal à parler tant ils nous touchent intimement.
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Extrait (et comme je n'ai plus ce livre entre les mains, j'ai retrouvé ce bel extrait sur Babelio" :
Elle descend dans l'ombre de la falaise et sa froide lumière. Elle voit la barque qui jaillit, très blanche, de l'énorme roche et comment, pendant ces deux jours, ces deux nuits, Œdipe a incarné sa fille Antigone dans la pierre. Autour du front et des longs cheveux que le vent déroule, le mouvement de la pierre a formé une couronne d'écume. C'est donc ainsi qu'Œdipe la pense, qu'il la fait voir, animée d'une beauté qui n'est pas celle de Jocaste ni celle d'Ismène. Une beauté active, résolue, acharnée dans la confiance. Ce visage connaît la menace de la vague, son écrasante pesanteur, mais il ne s'abandonne pas à l'effroi. La pierre l'a voulu éclairée, et solide, comme le corps, qu'elle a sculpté elle-même et retrouve avec étonnement. Ce corps dont Œdipe a accentué la ligne audacieuse qui est à la fois celle d'un garçon vigoureux et d'une jeune fille élancée, plus intrépide que les jeunes filles de Thèbes. Soudé par l'effort aux corps des deux autres rameurs, il soutient avec eux l'entreprise de survivre. Œdipe l'a achevé par le surprenant visage où tout est donné à l'effort, à la respiration juste et dont aucun des traits ne sourit. C'est la tête entière, c'est le corps tout entier qui, comme le petit dieu usé du village, sont animés d'un sourire dont la lumière transparente émane directement de la pierre. Dans ce profil né d'une vision d'Œdipe, ce qui la frappe, ce qui l'émeut surtout c'est la limpidité. C'est donc ainsi, alors qu'elle se sent souvent si troublée, si incertaine, que son esprit et ses mains l'ont aimée. Elle entoure de ses bras le sourire invisible et présent qu'il lui a donné dans la pierre, elle se réconcilie un peu avec elle-même, elle sent qu'elle pourra peut-être, comme le lui a dit Diotine, devenir un jour Antigone.
Auteur : Henri Bauchau - Titre : Oedipe sur la route - Editions Actes Sud
Note : Je me souviens qu'à cette même période où j'ai lu ce livre, il y avait au "Masque et la plume" de FI, un fil rouge qui a duré des mois : le courrier des lecteurs qui encensaient "La route" de Mc Carthy, dont beaucoup disaient (et vraiment je ne comprenais pas : ce livre déprimant est pas mal, sans plus, et ne mérite pas tout ce bruit) ne plus savoir quoi lire après "La route". Bon sang, s'ils avaient lu "Oedipe sur la route", ils auraient vite oublié leur Mc Carthy !